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Entretien avec Christian Kinnen

Un jean à un prix grand public fabriqué en France? Mission impossible? Pas pour Christian Kinnen, directeur de FashionCube Denim Center!

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Ancien responsable de la RSE de Pimkie, marque de l'écosystème FashionCube, Christian Kinnen lance le projet pour le moins osé de relocaliser la fabrication d'un produit emblématique en France...à prix grand public! Mission accomplie à force de persévérance ! Le FashionCube Denim Center est maintenant une réalité et Christian Kinnen vise 410 000 jeans par équipe de 8 heures dès 2024.

Relocalisations.fr : Comment est né ce projet?

CK : " Tout a commencé il y a 4 ans alors que je menais une veille sur les nouvelles technologies applicables à l'industrie textile. J'ai remarqué un article sur Softwear automation basée à Atlanta qui disait automatiser la production de T-shirt et être en mesure d'en produire 1 million uniquement avec 3 personnes. Autant dire que j'ai immédiatement investigué !

Ce qu'il faut savoir c'est que dans un produit textile l'impact du coût de la main d'œuvre est très élevé. Réussir à automatiser la production  permet donc de faire baisser les coûts.  Cela a donc immédiatement suscité l'enthousiasme chez FashionCube. Le Conseil de surveillance m’a soutenu dans ma démarche et m'a demandé de trouver un industriel pour nous aider.  Mais l’identification de partenaires industriels en France est une vraie difficulté car on ne sait pas qui fait quoi ! J’ai commencé par trouver un industriel Indien pour nous accompagner. Notre projet a évolué et s’est réorienté sur le jean car la technologie sur l'automatisation du t-shirt n'était en réalité pas encore prête. Pour la petite histoire c'est l'armée américaine qui avait financé cette start-up afin que les soldats américains puissent disposer de t-shirts fabriqués aux États-Unis ! Nous sommes alors partis en Éthiopie là ou la semi-automatisation fonctionne sur le jean. Le manque de savoir-faire en matière d’industrie textile nécessite de trouver d’autres solutions plus automatisées. L'humain alimente un automate qui lui a une capacité de production bien supérieure à celle d'un homme !

Mais le projet a connu un nouveau rebondissement car avec le COVID notre partenaire initial s'est désengagé de nos projets en gelant tous ses investissements. C'est donc seul que j'ai dû continuer et je me suis finalement rendu compte que l'expertise était en réalité chez les fabricants de machines. Or ces derniers sont situés en Europe et non à l'autre bout du monde !

Le fait de travailler avec des personnes qui sont culturellement proches de nous est important car nos partenaires issus des pays à bas coût de main d’œuvre ne comprennent pas nos problématiques. Pour l'Inde ou pour l'Éthiopie les problèmes de coûts de main d'œuvre n'en sont pas. Les faire sortir de leur cadre de pensée pour leur faire transposer leur modèle technologique à la France est très difficile.

C’est donc en mars 2021 que nous avons créé la société au sein de FashionCube, notre ecosystème de marques (Jules, Pimkie, BZB, Rouge gorge, Grain de Malice et Orsay), et nous prévoyons de recruter en tout une cinquantaine de personnes sur l'année pour nous permettre de produire 130 000 jeans en 2022. Notre ambition est de produire 410 000 jeans par équipe de 8h dès 2024. "

 

Relocalisations.fr : Quels sont les facteurs clés de succès sur lesquels vous misez pour réussir cette opération?

CK : " Cette opération est vraiment un POC (proof of concept) ! Nous allons démontrer que l'on peut rivaliser avec le Bengladesh. Nous produirons au même coût - voire moins cher - tout en gagnant autant sinon plus!

Pour cela je mise sur quatre leviers qui sont internes à notre écosystème.

Le premier est notre mode de production qui est entièrement repensé pour fabriquer plus rapidement, sans gâchis, au meilleur coût. Pour cela nous automatisons la production et réduisons les coûts de main d’oeuvre. En produisant localement nous pourrons produire à la demande, nous n’aurons plus de vente manquée, notre gestion des stocks sera optimisée et tout cela nous permettra de mieux maîtriser les coûts de revient finaux .

Le deuxième est que nous visons le « zéro démarque », c’est-à-dire que nous voulons vendre au prix indiqué, sans promotion.

Parallèlement, nous répercutons la hausse des coûts de revient en comptant sur nos marques pour vendre plus cher les produits.  C’est ce que fait Jules avec le jean « Cinq Neuf ». Nous avons fixé une augmentation maximum de 20% par rapport à nos anciens prix de vente.

Le dernier levier est notre réseau de distribution. Non seulement nous disposons des marques de FashionCube mais nous pouvons également compter sur la force de notre écosystème élargi (Auchan, Kiabi...) pour amortir rapidement le matériel en assurant des débouchés à nos produits.

 

Enfin le contexte actuel pourrait nous aider car depuis la crise sanitaire nous sommes confrontés à des problèmes d’approvisionnements en matières premières, de hausse du coût du transport, de retard de livraison … tous ces facteurs contribuent à faire augmenter les prix des produits importés. Si demain la taxonomie verte s’applique en Europe tous ces facteurs nous rendrons d’autant plus compétitifs ! "

 

Relocalisations.fr : Vous dites que vous allez créer de l'emploi mais en réalité vous allez surtout créer des usines fortement robotisées… avec donc des machines pour les faire tourner…Où est la place de l’humain dans votre projet ? Les emplois que vous proposez risquent-ils d’être un retour en arrière comme dans l’époque des Temps Modernes de Charlie Chaplin ?

CK : " Au contraire ! Quand nous relocalisons aujourd’hui nous mettons en place des usines où l’homme a une place bien plus centrale qu’autrefois ou que dans les modèles d’usines que les pays à bas coût de main d’œuvre vont mettre en place !

Je m’explique : chez nos fournisseurs traditionnels, le coût de la main d’oeuvre augmente, la tendance est donc à la robotisation et on peut donc conclure que nos fournisseurs vont détruire de l'emploi dans leur propre pays. Pour ce qui est des pays comme l'Éthiopie, où le coût de la main d'œuvre est un des moins chers du monde, la place de l’homme dans la chaîne de production est loin d'être idéal. Car dans ces pays la main d’œuvre est peu formée. Les robots viennent donc pallier ce manque de savoir-faire. L’homme est véritablement au service de la machine. La valeur qu’il apporte est faible mais son coût l’est également. Inutile de dire que les salariés dans ces pays ne sont pas nécessairement les plus heureux du monde !

C’est tout le contraire dans le modèle d'industrie que nous proposons. Celui-ci est nettement plus vertueux car les emplois qui s'y trouvent sont qualifiés, marqués d'une grande polyvalence. On fait tourner les gens sur les postes pour assurer une évolutivité, par ailleurs on insiste sur la dextérité que l'homme apporte à la fabrication et que le robot ne peut pas produire . La robotisation, l’automatisation, sont créateurs d’emploi en France : moins l’écart est important avec l’Asie plus nous relocaliserons. "

 

Relocalisations.fr : Ce changement de modèle de production aura-t-il des conséquences sur le consommateur ? Comment pensez-vous qu’il percevra la hausse tarifaire qui va être pratiquée ? Vous avez mentionné la marque Jules qui passe de 49 à 59€ le Jean… 

CK : " Quand nous avons lancé le projet nous avons fixé une hausse tarifaire maximum de 20% qui reste de l’ordre de l’acceptable car je suis persuadé que nous assistons à la fin d'un modèle : nous nous dirigeons vers le M2C c'est à dire le Manufacturer to Citizen. Les clients aujourd'hui achètent un impact environnemental et social. Ils valorisent le fait que le jean soit produit par leur voisin ! Aussi il faut savoir dans notre relation avec eux être honnêtes, humbles et surtout être très transparents sur nos modes de production, sur la structure de nos coûts. Mais il est clair que notre objectif est de réussir à terme à vendre aux mêmes prix même si je pense qu’il est important d’arriver à faire évoluer les marques sur leur perception du prix. Trop souvent les marques interrogent leur base de clients, mais elles n’interrogent pas les non-clients et ratent les tendances. Dans notre secteur, soit on évolue, soit on est plus là ! "

 

Relocalisations.fr : Quelles sont les prochaines étapes une fois que vous aurez fait votre POC ?

CK : " Nous envisageons plusieurs suites, d'abord augmenter notre capacité de production car 410 000 jeans c'est en réalité très peu sur l'ensemble du volume que nous vendons : c'est l'équivalent d'un peu moins 6% de nos ventes ! L'autre possibilité c'est d'étendre notre gamme de produits soit en propre soit en partenariat. Nous pourrions également dupliquer notre modèle dans d'autres régions en France mais aussi à l'étranger car il nous semble important de pouvoir faire bénéficier nos clients de la valeur que nous créons or aujourd'hui ce n'est pas le cas. Nous produisons dans certains pays sans y vendre.

Une des suites indispensables c'est de mettre en place un système d'approvisionnement local entièrement à base de recyclage. L’objectif est d’utiliser les vêtements dont les clients ne veulent plus et qui n’ont plus d’autre intérêt que de finir en recyclage pour en faire un nouveau tissu 100% Local et 100% recyclé. "

Relocalisations.fr : Enfin, pensez-vous que la relocalisation puisse être une composante de la RSE ?

CK : " Avant de prendre la responsabilité du FashionCube Denim center, j’étais responsable de la RSE chez Pimkie. En réalité en délocalisant on a surtout délocalisé la pollution et notre responsabilité environnementale. Ce ne sont pas les transports contrairement à ce que l'on pense qui créent le plus de pollution mais le mix énergétique utilisé par les pays dans lesquels nous produisons. La relocalisation est vertueuse à ce titre car elle évite de sur-produire. J’aime l’idée d’un KPI qui permettrait à toute entreprise de suivre son niveau de dépendance vis-à-vis de la Chine !

Les opportunités de relocalisation à saisir sont très nombreuses et pour cela je crois beaucoup aux innovations cross-industries. Aujourd’hui par exemple, j’ai des besoins clairement identifiés mais je ne sais pas ce qui existe pour m’aider à robotiser encore plus. Les opportunités sont là, entre les différentes industries, et il nous faut les découvrir ! "

Tous nos remerciements à Christian Kinnen pour cette interview.

Et pour trouver le jean fabriqué en France par FashionCube Denim Center, rendez-vous sur la marque Jules.

 

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