La France est de loin le premier producteur de lin au monde : elle représente 80% de la production mondiale! Mais comme beaucoup d'autres industries frappées par la concurrence des pays à bas salaire, les filatures de lin ont toutes peu à peu fermé. La France se retrouve donc aujourd'hui dans une situation ubuesque puisqu'elle vend sa matière première à la Chine, qui la transforme puis la confectionne... et la revend au reste du monde avec l'inscription "Lin de France" !
En 2020, Safilin met fin à cette absurdité et relocalise ses usines de Pologne - tordant ainsi le cou aux idées reçues selon lesquelles l'industrie textile n'est pas relocalisable.
Alix Pollet, directrice de la marque, revient sur les motifs de la relocalisation dans un entretien passionnant réalisé par Grégoire de la Regontais.
Safilin, comment une PME familiale met fin à 30 ans de non-sens économique et écologique
Entreprise familiale spécialisée dans la filature du lin, Safilin a dû faire le choix de la délocalisation dans les années 1980. Toutefois, face au développement des filatures en Asie, Safilin délocalise en Pologne plutôt que fermer définitivement ses usines filature de lin en France comme la majorité de ses confrères. En choisissant la Pologne, pays de tradition linière, Safilin entend garder la production et donc le savoir-faire non loin de la France. Ce choix stratégique va permettre à Safilin de relocaliser en ouvrant une unité de filature dans les Hauts- de-France en 2020. Safilin nous livre les secrets de cette relocalisation réussie!
Relocalisations.fr : En relocalisant après avoir délocalisé, quels messages pensez-vous transmettre ?
A.P : " Le premier est celui d’une entreprise attachée à son histoire. Notre société est née en France, y revenir là où tout a commencé est une immense fierté : il s’agit de rendre à la France tout ce qu’elle a pu nous offrir dans le passé. La relocalisation est non seulement une source d’emplois locaux mais elle aide à relancer l’économie française et plus spécifiquement l’industrie française. Par ailleurs, les produits de Safilin ont été identifiés comme des intrants essentiels à la souveraineté nationale dans l’industrie textile. Revaloriser le travail autour du lin est aussi un enjeu de cette relocalisation !
Le deuxième message de cette relocalisation est de confectionner d’un produit qui ait du sens. La France est l’un des premiers producteurs de lin au monde, pourtant la production est majoritairement réalisée à l’étranger. Filer le lin dans le même pays où il a été récolté a bien plus de sens qu’un produit qui traverse tout le globe ! Nous avons une réelle volonté d’apporter de la valeur grâce à la qualité d’un produit qui est naturel et qui a des racines françaises. Le positionnement de Safilin est clair : il est qualitatif et non quantitatif, un modèle éco-responsable de consommer moins pour consommer mieux.
Le troisième message est que cette relocalisation répond à un enjeu stratégique national.
La demande du made in France est entrain de revenir, le COVID-19 et la perturbation des supply chains qui en a résulté en sont une des causes majeures. Les consommateurs veulent consommer plus éco-responsable. C’est un phénomène que nous pressentions avant même l’apparition de cette pandémie mondiale. En plus de cette reprise du made in France, la hausse du salaire polonais est un vrai problème. Ce salaire est actuellement environ moitié moins cher que le salaire français mais il augmente d’environ 15% par an, ce qui amènerait d’ici plusieurs années à une disparition de l’avantage de la main d’œuvre moins cher.
En résumé c’est notre attachement à la France, notre volonté de revaloriser le travail et l’industrie française mais des raisons économiques qui ont joué dans notre décision de relocalisation."
Relocalisations.fr : Ce projet de relocalisation s'inscrit complètement dans l'intérêt de la souveraineté de l'industrie française, avez-vous pu bénéficier d'aides pour vous aider ?
A.P : "La relocalisation est souvent un projet complexe et coûteux, qui dans la littérature est souvent associé aux grands groupes. Nous ne relevons pas ce défi tout seul car nous recevons un soutien financier de la part de l’état, de la région et des collectivités locales par l’intermédiaire de subventions. Ces aides sont un réel soutien dans un projet à plusieurs millions d’euros. Se sentir accompagné et soutenu nous permet d’aller plus vite et voir plus grand dans notre déploiement en France."
Relocalisations.fr : Nous avons parlé des aides que vous avez reçues mais pouvez-vous nous en dire plus quant aux difficultés que vous avez rencontrées ?
A.P : "Le recrutement, la fidélisation du personnel sont de vrais défis ! De nos jours, les jeunes changent sans arrêt de travail et les métiers de l’industrie textile n’ont pas toujours bonne presse. Cela devient donc plus compliqué d’intéresser et par la suite de fidéliser un travailleur, d’autant plus que travailler le lin n’est pas chose si évidente. L’opérateur doit d’abord être formé pendant 4 mois. Il doit s’acclimater à la matière et être capable de repérer les moindres défauts. Le toucher et la vue font partie du processus de qualité lorsque l’on travaille le lin. Pour un bon traitement de la matière, il est nécessaire d’avoir un atelier avec une température ambiante de 26°C et un niveau d’humidité élevé. Des conditions de travail difficiles, une formation longue, une capacité à fidéliser : voici les challenges que nous devons relever! Nous travaillons en partenariat avec Pôle emploi pour trouver ses personnes aux bons profils et prêtes à s’engager."
Relocalisations.fr : Pour conclure, qu’estimeriez-vous être des accélérateurs ou facteurs clés de succès de votre relocalisation ?
A.P : "Tout d’abord, nous avons pu récupérer des machines des sites de production de Pologne qui n’étaient pas utilisées, pouvoir réutiliser des outils qui ont déjà fait leurs preuves est un avantage considérable ! En effet, elles représentent un moindre cout qu’un parc neuf et nos mécaniciens connaissent les bons réglages. L’opération de remontage du site de production devrait donc se faire dans de bonnes conditions en maîtrisant les tâches logistiques du démontage, approvisionnement et remontage. La relocalisation de notre savoir-faire technique a pu se faire sans grande difficulté.
Le deuxième facteur clé de succès est de revenir dans une région qui possède encore de nombreux savoir-faire textiles. Nous avons décidé d’externaliser certaines opérations comme le peignage ou le blanchiment des mèches. Cette décision a permis à nos partenaires de développer également leurs capacités de production. Certes ils avaient réussi à surmonter la crise en se diversifiant dans d’autres produits, mais ils ont accueilli à bras ouverts le retour du lin! Externaliser ces opérations nous a permis de limiter nos investissements car le projet est déjà très coûteux ! De plus cela a permis de redynamiser la région avec la création d’un écosystème qui revient à bénéficier à tous ! "
Merci à Alix Pollet et à notre intervieweur Grégoire de la Regontais.
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